Il était déjà en charge de la conception produits au sein du bureau d’études, il élargit désormais son champ d’action à la prescription… Serge Gouverneur prend le relais d’Yves Ginet, qui part à la retraite après plus de 36 ans d’activité au sein de Leborgne. Pour lui, « une suite logique et une vraie continuité entre ces deux activités ». Politique de développement produit, évolution de la prévention dans le bâtiment, attentes du terrain et hommage à Yves. Serge nous partage son parcours et sa vision de ce poste stratégique.
Quel est le parcours qui vous conduit aujourd’hui à prendre la responsabilité de la prescription Leborgne ?
Serge Gouverneur : Mon parcours est un peu atypique ! Quand Denis Lozac’hmeur, ancien dirigeant de l’entreprise, m’a embauché il y a presque 23 ans, il voulait quelqu’un qui soit capable de mettre la main à l’atelier, quelqu’un d’ouvert, de pratique et de créatif. C’est comme cela que je me suis retrouvé en charge de la conception et de la mise au point des produits Leborgne au sein du département R&D.
Plus jeune, j’ai suivi l’école Boulle d’art et de design à Paris pendant 5 ans, puis fait des études de design mobilier en Angleterre et passé beaucoup de temps à l’étranger. J’ai ensuite commencé à travailler dans une entreprise qui faisait des sièges de bureaux en mettant au point les nouveaux produits (plasturgie, métal). Et j’ai même fait un crochet par le Népal pour de l’humanitaire !
La prévention est rapidement devenue l’un de vos axes de recherche. Quel a été votre cheminement pour le développer ?
Serge Gouverneur : Cela a été progressif, mais logique. L’ambition était très claire : faire de la R&D en direction des utilisateurs finaux. A l’époque, la distribution de Leborgne se faisait par les quincaillers. Puis sont arrivés la grande distribution et les grandes surfaces de bricolage (GSB) qui se sont imposés. Sans quincaillers qui connaissaient très bien leurs produits et les besoins des utilisateurs, nous n’avions plus de remontées d’informations, plus d’échange. Les vendeurs des GSB n’ont pas cette culture technique des produits. L’obsession du bureau d’études a donc été de rester en lien avec les besoins pratiques du terrain, car les réseaux de distribution recherchent avant tout des prix, des promotions, de la mise en avant. Notre cahier des charges était, et est toujours, celui-ci : apporter quelque chose de plus dans nos produits, ne pas faire de la nouveauté pour faire de la nouveauté, qui n’est qu’une perte de temps et d’investissement. C’est comme cela que les réussites sont arrivées, celle du balai à gazon XL et de l’évolution de nos marteaux Nanovib. Cela a validé notre démarche.
« Si l’on veut que les métiers du bâtiment soient attractifs, il faut qu’ils soient moins pénibles »
Justement, vous avez été acteur de cette volonté de proposer des outils efficaces qui « prennent soin » de leur utilisateur…
Serge Gouverneur : Oui nous avons voulu apporter de la fonction, de la durabilité, de la qualité technique à nos outils et aussi de l’utilité. Proposer un outil utile pour faire face à une contrainte du quotidien, c’est une notion simple mais très importante pour moi. Nous avons eu cette ambition alors même que réduire la pénibilité n’était pas une préoccupation du secteur. On ne parlait pas encore de prévention des risques. Pourtant, les grands groupes du BTP, les majors, ont commencé à s’intéresser aux questions de QSE (qualité, sécurité, environnement)car à chaque accident étaient mises en place des actions correctives. Le fait d’être en contact avec eux nous a permis d’identifier ce besoin-là. Enfin, le compte pénibilité est arrivé, et à partir de 2010, cet axe de prévention que nous développions inconsciemment jusque-là a été intégré dans la conception de chaque produit et mis autant en avant que ses qualités techniques et fonctionnelles.
En quelques années, la demande du terrain a-t-elle beaucoup changé
Serge Gouverneur : Oui ! Quand j’allais sur un chantier il y a 20 ans, la notion d’effort était une qualité reconnue de tous, pas celle de préserver sa santé. Avec la jeune génération, il y a une vraie bascule. Ils se rendent compte que s’ils veulent pouvoir travailler 40 ans ou plus dans des ambiances contraignantes, il faut qu’ils prennent soin d’eux, sans s’agresser et sans arriver complétement épuisés chez eux. Si l’on veut que les métiers du bâtiment soient attractifs, il faut qu’ils soient moins pénibles, j’en suis convaincu. Et les majors aussi. Les responsables QSE sont désormais partout. Des entreprises et des revendeurs nous demandent même de passer chez eux pour les assister dans leur démarche et renforcer leur force de vente. La culture de la prévention infuse. Leborgne participe à cela.
« Il faut repenser les gestes et démontrer que nos outils apportent une protection significative pour qu’ils soient adoptés »
Les politiques de prévention arrivent-elles jusqu’aux plus petites entreprises ?
Serge Gouverneur : Dans les PME, chez les artisans voire chez les compagnons, cela évolue mais moins vite. Les règles sont moins formalisées, mais le mouvement est global. D’autant que l’outil que l’on développe intègre les besoins du terrain dans son ensemble, et il sera le même pour le major comme pour la petite entreprise. Les grands groupes sont des locomotives, mais les artisans reconnaissent rapidement l’avantage de nos produits. C’est à nous de leur expliquer l’intérêt qu’ils ont à utiliser un outil avec des matériaux différents, avec de nouvelles fonctions, qui réduisent le poids, la vibration, et dont l’ergonomie est améliorée. C’est comme cela que nous sommes devenus une marque de référence dans le BTP.
L’outil ne devient-il pas un OPI au même titre qu’un EPI, un équipement de protection individuel ?
Serge Gouverneur : Cela peut paraître un peu prétentieux, mais oui, je pense que parler d’OPI, d’outils de protection individuelle, est parfaitement justifié ! Dans nos métiers, on ne se repose pas forcément la question du geste, qui est parfaitement maîtrisé car appris comme tel. Mais ce geste est-il toujours pertinent ? Est-ce qu’il vaut mieux travailler sur une échelle, un escabeau ou bien utiliser une PIR ? Nous avons mieux ! Nous développons des outils pour que les artisans puissent travailler au sol de manière parfaitement ergonomique, sans faire les éternelles navettes entre le sol et la station en hauteur. C’est le message que nous faisons passer, également auprès de la Carsat ou de l’OPPBTP, avec lesquels nous sommes en relation étroite. Ils comprennent notre démarche qu’ils jugent parfaitement pertinente, mais ils ont souvent d’autres priorités à mettre en œuvre. Et il y a toujours un frein au changement, ce n’est pas intuitif. Nous devons donc faire la démonstration de l’avantage du produit, que nos outils apportent une protection significative pour qu’ils soient adoptés et modifient de manière positive les habitudes. Quand on montre nos produits à des professionnels, ils comprennent leur utilité et les adoptent. Tout le monde travaille pour faire évoluer cette culture-là, ce sont les petits cailloux qui feront la montagne de demain !
« Le coût d’un outil n’est rien par rapport au coût d’un arrêt de travail ou de frais chirurgicaux »
Qu’apportent aux entreprises du bâtiment les partenariats que vous pouvez nouer avec elles, comme celui avec VINCI Construction France ?
Serge Gouverneur : Beaucoup. VINCI Construction France nous a identifié comme étant la marque à même de leur apporter des outils qui réduisent la pénibilité. Les autres grandes entreprises comme Eurovia ou Bouygues le savent aussi et du coup, sont demandeurs. Ces acteurs ont bien compris les avantages qu’ils pouvaient tirer en s’inscrivant dans cette démarche. Eux recherchent le « zéro accident » et l’attractivité de leurs métiers. Nous avons des solutions. Le coût d’un outil n’est rien par rapport au coût d’un arrêt de travail ou de frais chirurgicaux. Peut-être qu’un marteau coûte 2 ou 3 euros de plus, mais si je préserve mes équipes et salariés en utilisant celui-là, ce n’est rien.
Passer de la R&D à la prescription, votre rôle évolue… Comment l’appréhendez-vous ?
Serge Gouverneur : Il y a une vraie continuité entre les deux activités, puisque je vais sur le chantier, identifie le besoin, prototype, industrialise. L’étape suivante est maintenant de retourner sur le chantier et de dire : « nous avons la solution à votre problème » ! La boucle est bouclée et c’est très agréable de le faire. Bien sûr, être sur le terrain prend beaucoup de temps, mais ce sont des missions intéressantes et valorisantes. Et cela va permettre aussi d’alimenter la R&D.
« Yves Ginet a une culture de l’entreprise unique et a structuré la prescription ! »
Yves Ginet vient de vous passer le flambeau, quelle vision vous aura-t-il transmis ?
Serge Gouverneur : Avant Yves, il n’y avait pas de poste de prescription chez Leborgne. C’est lui qui l’a structuré, avec la mobilisation de ses contacts utilisateurs et ses connaissances : R&D, achats, marketing ou commercial, autant de postes qu’il a occupés. Il a une culture de l’entreprise unique. Jusqu’alors, nous développions des produits qui réduisent la pénibilité, mais nous n’avions pas de relais pour les mettre en avant. Tous les démarches d’Yves ont permis d’acquérir une reconnaissance de nos outils et d’accroître leur demande. Il était la meilleure personne pour le faire. Occuper à mon tour ce poste, c’est un beau challenge. Mais grâce aux équipes et à ce qu’Yves m’a transmis, cela se passe très bien. Merci à lui pour ces presque 40 ans, nous récoltons aujourd’hui ce qu’il a semé avec talent !