Le défi de l’immobilier bas carbone à l’heure de la sobriété énergétique

Décryptage avec Ludovic Mouly, Directeur Général Adjoint d’Aire Nouvelle 

Alors que la phase 2 du plan de sobriété gouvernemental, visant à réduire de 40 % la consommation énergétique en France d’ici 2050, a été lancée, l’immobilier constitue l’un des principaux gisements d’économies d’énergie. Comme l’a initié la loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables promulguée en mars dernier, il est primordial de sortir les ENR immobilières de l’angle mort législatif. Un enjeu bien connu d’Aire Nouvelle, filiale d’aménagement et de promotion immobilière bas carbone d’Equans France, tout récemment à l’initiative du lancement du booster des ENR&R, collectif présenté au SIBCA le 21 septembre dernier. Composé de 16 acteurs majeurs de l’immobilier et soutenu par l’ADEME, ses membres se sont donnés 3 ans pour transformer l’industrie immobilière et y systématiser l’intégration des ENR&R, via une méthode de test & learn et partage d’expérience qui sera déployée sur 50 projets pionniers.

 Où en sommes-nous dans la décarbonation de l’immobilier ? 

Le monde de l’immobilier n’échappe pas à la révolution de la sobriété et de l’efficacité énergétique mais une prise de recul sur les évolutions du marché de l’immobilier semble nécessaire. Deux textes législatifs bousculent les manières de faire. D’abord, la loi Zéro Artificialisation Nette qui questionne la consommation de foncier et diminue la part du diffus en orientant le marché vers la rénovation urbaine et bâtimentaire. Ensuite, la réglementation RE2020 qui participe à l’évolution de ce marché, en pénalisant particulièrement la maison individuelle et le collectif peu dense. Le challenge de la décarbonation s’intègre dans ce contexte, qui diffère largement de l’évolution du marché de l’immobilier connu durant ces dernières décennies. 

La réglementation encourage les trajectoires vertueuses pour réduire l’empreinte carbone des bâtiments. Toutes les parties prenantes sont concernées. D’un côté les maîtres d’ouvrage, qui ont des obligations de résultats liées aux nouvelles contraintes règlementaires. De l’autre, les investisseurs, encouragés par la taxonomie européenne, qui privilégient aujourd’hui les investissements durables et labélisés pour augmenter leurs exigences environnementales. Enfin, les exploitants, qui, dans un contexte de crise énergétique et économique, cherchent par tous les moyens à faire converger leurs contraintes environnementales et économiques. Malgré ces nouvelles impulsions, l’immobilier représente encore 30 % du bilan carbone de la France. Des progrès significatifs ont été réalisés dans le sens de la décarbonation de l’immobilier mais il reste encore beaucoup à faire pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat.

Un bâtiment et, à fortiori, un îlot urbain, un quartier ou une ville, forme des systèmes pluriels dans lesquels de nombreuses composantes interagissent, ce qui complexifie la transition. Il y a donc un réel besoin d’élaborer une stratégie ambitieuse pour chaque projet immobilier. Chez Aire Nouvelle, nous étudions systématiquement chaque dossier sous le prisme de notre boussole : énergies, matériaux, mais aussi biodiversité et mobilités. Il s’agit pour nous de mener une approche environnementale holistique mais ciblée, pour tenir nos objectifs. 

Comment faut-il procéder pour atteindre les nouveaux objectifs ? 

La sobriété énergétique n’est pas autoportante. Les promoteurs doivent se donner les moyens d’y arriver. Nous croyons en une méthodologie de travail matricielle – consommer moins, mieux et vert – et nous l’appliquons aux quatre points cardinaux de notre boussole cités précédemment. Il y a un véritable enjeu à traiter ces derniers dès la programmation et la conception architecturale, et à mener la réflexion jusqu’à l’exploitation du bâtiment, pour pérenniser les partis pris environnementaux.

« Consommer moins », c’est-à-dire utiliser moins de ressources dont l’usage peut être évité. C’est privilégier la réhabilitation pour gaspiller moins de matières premières énergivores. C’est aussi concevoir bioclimatique, compact, et ainsi réduire la consommation d’énergie. C’est également créer des morceaux de ville intégrant une grande variété de commerces et services de proximité pour diminuer les distances de déplacement et encourager les mobilités douces. 

« Consommer mieux », c’est impérativement penser économie circulaire. Il faut réfléchir circularité matière par le réemploi de matériaux certes, mais également circularité énergétique. Il est question de diminuer les pertes en optimisant la conception, de récupérer de la chaleur fatale pour alimenter le bâtiment, d’utiliser des technologies innovantes pour monitorer, piloter et adapter au mieux la consommation. En matière de mobilité, consommer mieux signifie encourager le report modal des habitants en leur proposant des services liés aux transports en commun, mobilités partagées, mobilités douces etc. 

« Consommer vert » est synonyme de développement des énergies renouvelables et de récupération. Il faut absolument tirer profit de ces énergies locales disponibles, à l’heure où les systèmes énergétiques représentent plus de 50 % du poids carbone dans le cycle de vie de l’immobilier. 

Nous sommes convaincus chez Aire Nouvelle – et Equans – que la maîtrise de l’énergie et des lots techniques constitue un levier incontournable pour que la décarbonation de notre modèle devienne une réalité. C’est par la combinaison des forces de chaque acteur que l’équation de la sobriété carbone et énergétique, de la place donnée à la biodiversité et des solutions de mobilité durable pourra être résolue.

Faut-il faire évoluer le cadre juridique ? 

Dans un contexte énergétique inflationniste et de tension sur les ressources, l’immobilier doit faire sa part en termes de sobriété et de production d’énergies renouvelables. La règlementation actuelle se veut de plus en plus exigeante et le contexte, bien que présentant une certaine inertie, est favorable. D’abord, un rappel des évolutions règlementaires permet de constater les gigantesques avancées qui ont été faites durant les dernières décennies.

Depuis 1974, plusieurs réglementations thermiques ont été mises en place. Entre 1974 et 2012, les consommations réglementaires ont ainsi été divisées par 10… presque par 20 avec l’arrivée de la RE2020. Pour la première fois avec la RE2020 – en vigueur depuis le 1er janvier 2022 – une réglementation nationale intègre un indicateur environnemental, à savoir l’impact carbone, aux contraintes règlementaires appliquées au bâtiment. Cette nouvelle règle s’inscrit dans une action continue et progressive en faveur de bâtiments moins énergivores et moins carbonés. Aujourd’hui, nous observons les premiers retours d’expérience de la RE2020 de la part de bureaux d’études spécialisés. Leurs analyses montrent que la consommation énergétique moyenne des bâtiments neufs a été réduite d’environ 40 % avec la RE2020 par rapport à la RT2012.

En parallèle, le décret économie d’énergie tertiaire (DEET), publié en juillet 2019, renforce cette dynamique en intégrant la collecte de données détaillées sur la consommation d’énergie des bâtiments et en déterminant des objectifs de gain énergétique en valeurs absolues et relatives. 

Si les consommations ont considérablement été réduites, ce sont maintenant les énergies renouvelables et de récupération (ENR&R) du bâtiment qui doivent être davantage encouragées. 

Chez Aire Nouvelle, nous pensons qu’un bilan énergétique doit prendre en compte tous les usages, et valoriser à la fois l’énergie autoconsommée et l’export de l’énergie excédentaire, électrique mais aussi thermique. 

De plus, il nous semble nécessaire de créer et d’animer des instances d’acteurs multiples de l’énergie et du bâtiment, réfléchissant aux modèles d’intégration de ces énergies (technique, financier, juridique), pour renforcer l’intégration des énergies renouvelables aux projets immobiliers. 

La toute dernière loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables ouvre de premières avancées pour le secteur de l’immobilier comme la systématisation de la géothermie dans l’étude de faisabilité technique, économique et énergétique réalisée en amont de la construction/ rénovation d’un bâtiment. Autre amélioration, l’intégration des énergies renouvelables aux projets urbains a été facilitée avec des dérogations simplifiées au code de l’urbanisme et une prise en compte accrue des objectifs de développement ENR dans les avis de l’Architecte des Bâtiments de France. Enfin, l’obligation d’équipement solaire des toitures et des parcs de stationnement a été créée et étendue à l’existant ; et l’autoconsommation collective a été étendue au gaz renouvelable et à l’hydrogène bas carbone.

Il nous faut aller plus loin encore ! C’est en rassemblant les filières, en systématisant le recours aux EnR&R du bâtiment, en levant des verrous juridiques notamment sur l’autoconsommation collective, en créant des obligations et des incitations financières… que nous maintiendrons le cap des objectifs de réduction carbone de l’immobilier tout en réduisant sensiblement la facture d’énergie pour les entreprises et les ménages. Le booster des ENR&R (Energies Renouvelables et de Récupération) initié par Aire Nouvelle, Contrast-e et A4MT lors du SIBCA le 21 septembre dernier est un premier pas vers cet objectif, qui j’espère en inspirera de nombreux autres !

À propos d’Aire Nouvelle 

Aire Nouvelle, filiale d’aménagement et de promotion immobilière bas carbone d’Equans France, a pour vocation de réaliser, en partenariat avec l’ensemble des acteurs de la ville, de nouveaux modèles urbains capables de relever les défis liés à la transition environnementale. A l’heure où 50 % du bilan carbone de l’exploitation d’un bâtiment neuf ou en réhabilitation lourde sur 50 ans provient des lots techniques et des énergies, Aire Nouvelle s’appuie sur sa filiation avec Equans* afin de développer des solutions adaptées et sur-mesure. Grâce à une méthodologie propre, la « boussole AN » fondée sur 4 points cardinaux (énergies, mobilités, matériaux et biodiversités), les équipes d’Aire Nouvelle prennent en compte la complexité systémique croissante des environnements urbains en mettant l’excellence environnementale au coeur de projets immobiliers et urbains ambitieux, au service de la qualité de vie des citoyens. 

* leader des Energies et Services proposant des solutions multi-techniques et expert en systèmes énergétiques et digitaux pour les bâtiments et les villes 

À propos du Groupe et d’Equans France 

Enraciné dans une histoire plus que centenaire, le groupe Equans est le nouveau leader mondial du secteur des énergies et services. En France, notamment grâce à Ineo, Axima et Bouygues Energies & Services, il possède une forte densité territoriale synonyme de proximité. Ses 35 000 salariés en France accompagnent leurs clients dans l’amélioration et l’optimisation de leurs équipements, systèmes et processus technique afin de relever les défis d’une triple transition, énergétique, industrielle et digitale. Equans mobilise un haut niveau d’expertise et de technologie, avec l’ambition d’apporter une contribution significative à un monde bas carbone et résilient. Génie électrique, climatique, réfrigération, sécurité incendie, Facility Management, IT et télécommunications, solutions digitales : les expertises complémentaires d’Equans se déploient en France à travers une combinaison unique de compétences multi-techniques aussi bien pour les projets de conception, construction et installation que pour les services d’exploitation et de maintenance. 

Implanté dans 20 pays, avec 90 000 collaborateurs travaillant sur les 5 continents et un chiffre d’affaires annuel de plus de 17* milliards d’euros, le groupe Equans connecte, produit, alimente et protège chaque jour l’énergie et les données des territoires, villes, bâtiments, usines et infrastructures. S’inscrivant dans une même dynamique, sa filiale Equans France a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de plus de 6** milliards d’euros et intervient dans près de 30 pays différents.