Profitant d’une visite de l’usine de ballons thermodynamiques et de pompes à chaleur d’Intuis à Feuquières-en-Vimeu, Bruno Le Maire et Roland Lescure ont annoncé de nouvelles dispositions en faveur des pompes à chaleur. C’est une bonne idée, mais il faut tempérer notre enthousiasme. Huit mesures sont annoncées, certaines peuvent être mises en œuvre assez vite, d’autres passent par la réponse à des AMI (Appel à Manifestations d’Intérêt) et prendront des mois ou des années avant de porter leurs fruits. D’autres encore requièrent un passage par la loi. Certaines, enfin, sont particulièrement imprécises. Voici le détail des mesures annoncées et de la visite de l’usine Intuis par les deux ministres.
L’usine Intuis de Feuquières-en-Vimeu est l’ancienne usine Auer, l’une des marques du groupe Muller. Le groupe a été acquis entièrement par l’irlandais Glen Dimplex en 2021, rebaptisé Intuis et réorganisé l’année suivante. L’usine historique de Feuquières-en-Vimeu a aujourd’hui une capacité de production annuelle de 100 000 chauffe-eaux thermodynamiques et de 30 000 pompes à chaleur. Tous utilisant le R290 (GWP = 3) comme réfrigérant. D’ici 2027, le groupe veut atteindre une capacité de 200 000 unités, pac et ballons thermodynamiques confondus. Durant son discours à la fin de la visite, Roland Lescure, ministre de l’industrie, a indiqué que le groupe intuis souhaitait atteindre une capacité annuelle de 300 000 unités. Mais Philippe Dénecé, directeur général du groupe Intuis ne semblait pas se sentir engagé par cette parole ministérielle.
Seulement du R290
Tous les systèmes thermodynamiques fabriqués à Feuquières utilisent du R290. Un ballon thermodynamique en contient au maximum 150 g pour une puissance délivrée un peu inférieure à 3 kW. Un ballon thermodynamique de 150 litres n’en contient que 100 g.
L’échangeur de chaleur contenant le fluide est placé contre l’extérieur de la cuve acier des ballons thermodynamiques et l’encercle complètement. Doc. PP
Roland Lescure, à gauche, et Bruno Le Maire ont été guidés dans leur visite de l’usine Intuis par par Lionel Palandre, à droite, le directeur de l’usine. Doc. PP
Les ballons thermodynamiques et les pompes à chaleur fabriquées à Feuquières, pour ce qui n’est pas fabriqué sur le site, utilisent des composants d’origine européenne : compresseurs EMERSON Copeland fabriqués en Allemagne, échangeurs air/fluide italiens, ventilateurs à courant continue ebm papst, etc. Doc. PP
Les pompes à chaleur au R290 fabriquées à Feuquières-en-Vimeu appartiennent à la gamme HRC70, simple, double, cascadable jusqu’à 4 machines. Ce qui donne des puissances de 30 kW à 384 kW. Doc. PP
Lors de son discours final, Bruno Le Maire a décrit le « Plan d’action pour produire 1 millions de pompes à chaleur en France » comme l’un des quatre piliers de la décarbonation de l’économie française d’ici 2050, comme notre pays s’y est engagé, aux côtés de la relance de la filière nucléaire, du développement d’une filière de batteries pour véhicules électriques et, pourquoi pas, de stockage stationnaire, du développement d’une filière française de production de panneaux photovoltaïques. Doc. PP
Un plan en huit points
Bruno Le Maire et Roland Lescure ont chacun détaillé quatre points du plan d’action en huit points. Bruno Le Maire a annoncé :
1 – Le cofinancement par l’Etat des investissements nécessaires pour créer ou agrandir les usines de production de composants (compresseurs, échangeurs de chaleur, détendeurs, régulateurs, etc.) et de pompes à chaleur. La notion de pompe à chaleur semble être prise au sens large, englobant les ballons thermodynamiques, les rooftops, les groupes de production d’eau glacée, les pompes à chaleur très haute température pour l’industrie, etc. Pour ce cofinancement, l’Etat va mobiliser le Crédit d’Impôt Investissement Energie Verte ou C3IV dans le sabir gouvernemental, décrit dans la toute récente loi Industrie Verte promulguée le 14 mars 2024. Ce C3IV peut financer de 20 à 45% de l’investissement, hors RDI (Recherche, Développement expérimental et Innovation), selon la taille de l’usine et sa localisation prévue. Avec de toutes manières un plafond de 150 millions d’Euros hors zone AFR (Aides à Finalité Régionale) et jusqu’à 200 M€ dans les zones AFR. Pour faciliter l’utilisation du fameux C3IV, la Direction Générale des Entreprises a lancé un AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt) le 15 avril. Il court jusqu’au 30 juin 2024 à minuit.
Après 3 extensions de l’usine de Feuquières-en-Vimeu, Intuis envisage une quatrième extension pour porter la capacité de production annuelle à 200 000 pièces. Ce sera sans doute l’occasion d’expérimenter le C3IV. Doc. PP
2 – Limiter les aides publiques au financement des pac européennes et obliger l’Etat à acheter français ou européen, avec deux petites complexités tout de même. Bruno Le Maire veut premièrement acheter français ou européen, ce qui va immédiatement poser la définition d’une pompe à chaleur française ou européenne. Les pompes à chaleur fabriquées par Panasonic à Tillières-sur-Avre sont certainement françaises. Tandis que celles achetées à Middea – et hautement performantes – par De Dietrich ne le sont sans doute pas. Tout ça va être éclairci. Mais Bruno Le Maire veut aussi inciter l’Etat à acheter pour ses bâtiments les pompes à chaleur dont les performances environnementales sont les meilleures. De même, les aides publiques comme MaPrimeRénov’ seront, en principe dès 2025, limitées aux pac française ou européennes présentant les meilleures performances environnementales. Il faut vite une définition de ces « meilleures performances environnementales ».
Le fait de n’utiliser que du R90, au faible GWP et dont les performances thermodynamiques sont excellentes, pèsera positivement dans l’évaluation des « meilleures performances environnementales ». Est-ce que ce sera suffisant ? Doc. PP
3 – Faciliter l’installation des pac en collectif en dérogeant aux PLU en passant par une loi. Souvent, les PLU (Plan Local d’Urbanisme), souverainement établis par les communes ou communautés de communes à l’issue d’une longue procédure très codifiée, comportent des dispositions qui interdisent de fait l’installation de pompes à chaleur sur les immeubles collectifs ou les immeubles tertiaires. Bruno Le Maire a cité la hauteur maximale des bâtiments qui peut empêcher d’installer des pompes à chaleur dessus. Il n’a pas mentionné le rôle des Architectes des Bâtiments de France. Bref, il veut à la faveur d’un projet de loi dit de « Simplification », incorporer des dispositions qui permettront de déroger au PLU. Une loi, peut-être pas cette année, en raison du caractère chargé de l’agenda du Parlement. Ce sera long, quoi qu’il arrive.
Juste avant les discours de MM. Le Maire et Lescure, l’usine a reçu la certification « origine France Garantie » pour deux produits : un ballon thermodynamique et ses pac HRC70 : Gilles Attaf, à droite, remet le certificat à Philippe Dénecé, directeur général du groupe Intuis. Doc. PP
4 – Stimuler l’innovation pour développer en France des pompes à chaleur aux plus hauts standards écologiques de demain. Attention, nous allons à nouveau plonger dans le sabir gouvernemental. Bruno Le Maire compte en effet élargir aux pompes à chaleur, le dispositif existant de l’AAP « Démo-TASE ». Traduction, dans le cadre du plan d’investissement France 2030, un Appel A Projet (AAP) pour développer des Technologies Avancées des Systèmes Energétiques (TASE). Initialement, seuls l’éolien, le photovoltaïque flottant et la modernisation des réseaux d’électricité étaient concernés. Les pac peuvent désormais prétendre aux TASE. Nous avons une idée pour un bénéficiaire de toutes ces aides, notamment des TASE : le français equium (https://www.equium.fr/) développe depuis plusieurs années une pompe à chaleur acoustique, sans fluide du tout. C’est un projet, à proprement parler, révolutionnaire.
En réalité, les dispositions annoncées ci-dessus, le C3IV et les TASE concernent non-seulement les pompes à chaleur, mais la conception, le développement et la fabrication de leurs principaux composants. Doc. PP
Après ces 4 annonces d’importance, Roland Lescure a pris le relais, non sans souligner à quel point Bruno Le Maire et lui s’entendent bien, vraiment bien. Et il a annoncé quatre autres dispositions.
5 – Un AMI pour développer la formation aux métiers de la pompe à chaleur. L’un des obstacles au développement rapides des pompes à chaleur est le manque de personnel qualifié, à tous niveaux : depuis les études et le dimensionnement, jusqu’à la maintenance et en passant, naturellement, par l’installation. Il a évoqué la nécessité de 45 000 personnes en plus d’ici 2030, dont 30 00 installateurs. Le financement des projets de formation – initiale ou en reconversion professionnelle – aux métiers de la pompe à chaleur peuvent donc accéder à l’AMI CMA, autrement dit à l’Appel de Manifestation d’intérêt pour les « Compétences et Métiers d’Avenir », financé » par le plan France 2030.
Roland Lescure songe avant tout aux industriels pour unir leurs efforts de formation en utilisant l’AMI CMA (https://anr.fr/fr/detail/call/competences-et-metiers-davenir-cma-appel-a-manifestation-dinteret-2021-2025/) qui court jusqu’en 2025. Doc. PP
6 – Contrôler plus d’installations de pompes à chaleur pour augmenter la qualité et réduire les fraudes. Roland Lescure indique que les contrôles sur l’installation de pac financées à l’aide des CEE va augmenter, sur site et à distance, d’au moins 20% en 2025. Et devrait atteindre près de 50% des pac installées. Il n’a pas précisé qui s’en chargerait.
7 – Participer au financement de la création d’un Centre d’Expertise de la pompe à chaleur. Ce CEPAC a déjà été évoqué par l’AFPAC, lors de la Journée de la PAC, le 14 mars dernier, sera « ouvert à tous ». C’est tout ce que nous en savons pour l’instant. Mais les dirigeants de l’AFPAC étaient en nombre lors de la visite de l’usine Intuis le 15 avril. Ce sera donc sans doute l’AFPAC qui sera chargée de créer et d’animer le CEPAC.
8 – Développer les pompes à chaleur dans l’industrie grâce à une nouvelle fiche d’opération standardisée, créée dans l’enveloppe actuelle des CEE. Traduction, le Ministre semble ne pas avoir l’intention d’augmenter le volume d’obligation des vendeurs d’énergie pour la fin de la Vème période des CEE qui court jusqu’au 31 décembre 2025. Mais, une fiche spécifique va être créée. La France compte au moins une demi-douzaine d’entreprises capables de fabriquer des pompes à chaleur pour l’industrie, dont Johnson Controls à Carquefou, SDEEC Industries à Montpellier ou Q-ref à Moissac.
Voilà tout ce qui a été annoncé le 15 avril à la faveur d’une visite de l’usine Intuis de Feuquières-en-Vimeu. C’est beaucoup, mais la mise en œuvre de toutes ces mesures prendra des mois pour certaines, plusieurs années pour d’autres.