Réhabilitation de la Fondation Avicenne à Paris, un bâtiment d’architecture moderne classé Monument Historique

Imaginée dès 1958 par des architectes iraniens sous le nom de Maison de l’Iran, livrée finalement en tant que Fondation Avicenne par l’architecte français Claude Parent, cette œuvre architecturale tout à fait inhabituelle est en cours de rénovation complète.

©OlivierWogenscky

Installée en bordure du boulevard périphérique parisien dans le parc de la Cité Universitaire Internationale, la Fondation Avicenne a été conçue par Claude Parent (1923 – 2016) et livrée en 1969 par CEFM, devenue Eiffage Métal. Le bâtiment original était tout à fait particulier. -©OlivierWogenscky

Un bâtiment suspendu

Pascal Poggi pour Batimédia

Trois portiques géants en acier de 27 m de portée, de 33 m de hauteur sont ancrés dans des fondations qui descendent à 22 m sous le sol fini, traversant trois niveaux de carrières avant de trouver un ancrage ferme. Pour donner une cohésion à l’ensemble, les trois portiques sont ceinturés par deux systèmes de cadres à la hauteur du plancher haut du niveau 9 et du plancher haut du niveau 4. Sous les portiques est suspendu un bâtiment R+9, constitué de deux groupes de 4 niveaux accrochés à des suspentes en façade Est, en façade Ouest et en file intermédiaire au milieu des portiques. Ces deux blocs sont liaisonnés au niveau 2 et au niveau 7 sur les poteaux des portiques, pour éviter le balancement. ©PP

©Donation Gilles Ehrmann, Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion RMN-GP

Entre les deux groupes de 4 niveaux, un espace vide accueillait le logement du directeur. C’était le seul étage doté d’ouvertures sur les 4 côtés. Tous les autres niveaux comportent 3 faces aveugles (façade Ouest et les deux pignons) et une façade avec ouvertures à l’Est.

©Donation Gilles Ehrmann, Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion RMN-GP

Sur la façade Ouest, un escalier hélicoïdal extérieur dessert tous les niveaux de 1 à 9. C’est le seul escalier dans le bâtiment.

Un noyau en béton armé contient par ailleurs deux ascenseurs. Cette structure en béton, indépendante de la structure métallique du bâtiment en est désolidarisée par un joint de 30 à 80 mm de largeur. Les calculs effectués préalablement à la rénovation montraient que la structure en acier pouvait subir des déplacements de l’ordre de 16,5 cm en largeur et de 18 cm en longueur. Pourtant, aucune abrasion n’a été décelée au droit des contacts entre la structure béton et les planchers.

©OlivierWogenscky

Les planchers de chaque niveau étaient composés d’une structure acier portant des bacs aciers sur lesquels était coulée en dalle en béton armée. L’épaisseur totale bac acier + dalle ne dépassait pas 80 mm.

A l’origine, le bâtiment abritait 96 chambres, soit 12 chambres par étage avec un bloc sanitaire et cuisine commun au milieu de l’étage, au droit de l’escalier extérieur, une coursive sur la façade Est et un couloir aveugle sur la façade Ouest.

Le bruit moyen relevé dans une chambre atteignant 55 dB fenêtre fermée et 70 dB fenêtre ouverte.

Un concours lancé pour la réhabilitation de la Fondation en 2004

Le bâtiment vieillissait. En 2004, l’agence d’architectes SCP Beguin & Macchini et le BE Structures Nemo-K remportent le concours lancé pour sa rénovation. Devenu trop vétuste, la Fondation Avicenne est vidée de ses occupants en 2007. Mais en 2008, elle est inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. Ce qui, selon Jean-Frantz Katzwedel du BE Nemo-K, imposera une rénovation « esthétiquement à l’identique », surveillée de près par Marie-Suzanne de Ponthaud, architecte en chef des Monuments Historiques, chargée des études patrimoniales. En 2018 seulement, le financement de 17 M€ HT est rassemblé par la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP), Maître d’Ouvrage, soutenue par le Plan France Relance et la Direction Régionale des Affaires Culturelles (Drac) Île-de-France.

Outre la RIVP et la Cité Internationale Universitaire de Paris, propriétaire du site, l’équipe chargée de la réhabilitation comporte Gilles Beguin architecte du projet et mandataire du groupement de Maîtrise d’œuvre, le BE NEMO-K chargé des structures et façades et Maître d’Oeuvre d’exécution des structures métalliques et béton armé, des façades, de la protection anti-corrosion et des protections feu. Le BE Jaillet & Rouby est chargé des études de structure, le BE Ethis pilote les lots plomberie, électricité, chauffage et ventilation, Gamba est l’acousticien du projet, CTICM se charge de l’ingénierie du comportement au feu des structures extérieures, Sylvamétal du Groupe Baudin Chateauneuf est l’entreprise générale, tandis que PMN membre du Groupe Roger Delattre est l’entreprise des façades, cotraitante de l’entreprise générale.

Tout est enlevé sauf les structures

Une année de travaux a été nécessaire pour le désamiantage et le traitement des peinture anti-corrosion au plomb. Un échafaudage de 400 tonnes a été dressé autour du bâtiment pour accéder à tous les niveaux et confiner le bâtiment durant les travaux de désamiantage.

Pendant les études de conception, des relevés ont été effectués par la Maîtrise d’Œuvre, mais ils furent limités compte tenu de la présence d’amiante à l’intérieur du bâtiment et de l’impossibilité d’effectuer des démontages d’éléments de second œuvre pour vérifier les structures. Les études de conception ont donc été menées principalement à partir du fonds documentaire constitué des plans et comptes rendus cédés par Claude Parent au FRAC d’Orléans.

Une modélisation complète de la structure métallique du bâtiment principal et des calculs aux éléments finis ont été exécutés par NEMO-K en phase de conception avec le logiciel RFEM, édité par Dlubal Software, et ses modules spécifiques métiers, selon le référentiel des Eurocodes (charges climatiques, béton armé, acier, vibrations). Ces calculs ont aussi permis de vérifier le comportement des puits de fondations existants appuyés sur les couches profondes de calcaire à 22 m sous le niveau du terrain naturel. Ils ont montré la nécessité de prévoir le renforcement de quelques pièces de structures en acier comme des parties de cadres de suspension, quelques éléments de stabilisation et de contreventement.

De son côté, le Bureau Jaillet & Rouby, en charge plus spécifiquement des ouvrages de structures métalliques en phase de projet, a effectué ses propres calculs avec un logiciel diffèrent. Enfin, en phase d’exécution l’Entreprise Baudin Châteauneuf a mené un troisième calcul, à l’aide d’un logiciel distinct des deux précédents. Ces trois modélisations et calculs successifs, par des entités indépendantes, permettent de corroborer les hypothèses et de garantir la sécurité du comportement des structures. L’ensemble des assemblages a été relevé et recalculé par l’Entreprise Baudin Châteauneuf et visés par la MOEx et le Bureau de Contrôle Technique.

Ensuite les travaux de réhabilitation ont principalement porté sur la dépollution des flocages amiantés et des peintures anticorrosion au plomb. L’escalier extérieur était très endommagé par la corrosion et a requis la réfection complète des emmarchements et des garde-corps en tôles mécano-soudées. Certains éléments de tôles corrodées des habillages et des fermetures de lambrequins sur façades ont été remplacés. Leurs épaisseurs de 2,5 mm étaient trop faibles. Les façades ont été déposées et totalement refaites, compte tenu de leurs faibles performances thermiques, acoustiques et de leurs défauts d’étanchéité à l’air et à l’eau qui faisaient du bâtiment une passoire thermique.

Des doublages intérieurs coupe-feu ont été posés sur les façades aveugles : façade Ouest, pignons Nord et Sud. Tous les garde-corps des coursives de la façade Est ont été remplacés.

Les études d’Ingénierie Feu ayant permis de déterminer le comportement au feu des structures extérieures, il a été accepté qu’une protection particulière anti-feu des portiques et cadres de suspension n’était pas nécessaire. En revanche, les structures intérieures ont été protégées par flocage. Les structures dans le plan des façades ou visibles en rives de plancher ont été protégées par peinture intumescente.

La protection anticorrosion a été assurée à l’aide de systèmes ACQPA (Association pour la Certification et la Qualification des Peintures Anticorrosion), suivant le fascicule 56 « Protection des ouvrages métalliques contre la corrosion » https://piles.cerema.fr/IMG/pdf/fascicule_56_cctg_2004_protection_des_ouvrages_metalliques_contre_la_corrosion_cle584438.pdf  .

Des éclatements des bétons des nez de dalles de loggias, plus particulièrement au droit des suspentes, ont été réparés. Toutes les étanchéités sur l’isolation thermique sur dalles en béton armé ont été refaites, avec ajout d’une protection par chapes en ciment pour les loggias et le niveau 5.

Pascal Poggi pour Batimédia

Les chambres ont été complètement réaménagées : suppression des sanitaires et cuisines collectifs, création de sanitaires et d’un coin cuisine dans chaque chambre, avec réfection totale des corps d’état techniques, nécessitant des passages de gaines importants et des modifications des contreventements horizontaux pour le passage des réseaux. ©PP

Pascal Poggi pour Batimédia

Contraintes et avantages du classement Monument Historique

Si le classement à l’ICMH a apporté des contraintes esthétiques, il a aussi justifié quelques dérogations. Par exemple, le bâtiment est absolument inaccessible aux PMR (Personnes à Mobilité Réduite), ce qui serait complètement inacceptable pour une résidence étudiante. Mais il a été accepté que le respect de la conception originale ne permettait pas d’aménager, même un petit pourcentage, d’accès PMR.

Pascal Poggi pour Batimédia

Ensuite, le bâtiment ne comporte qu’un seul escalier, certes monumental et extérieur, mais qui serait parfaitement inacceptable du point de vue de la sécurité incendie dans un bâtiment normal. L’ensemble du bâtiment est classé stable au feu durant 90 minutes. ©PP

Pascal Poggi pour Batimédia

En revanche, le classement à l’ICMH a imposé de respecter l’apparence initiale du bâtiment.

Pascal Poggi pour Batimédia

Ce qui s’est traduit pour les trois façades opaques par l’emploi d’une structure de mur rideau Wicona Wictec 50, supportant des plaques opaques Equitone. Pour reproduire parfaitement l’allure originale des trois façades opaques, Wicona a développé des capots spécifiques de 110 mm de largeur. ©PP

Pascal Poggi pour Batimédia
Pascal Poggi pour Batimédia

Dans les étages classiques de la façade Est, rythmée par une trame de 2,90 m imposée par les suspendent auxquelles sont accrochés les étages, les menuiseries sont constituées de profilés Wicona Wicline 65 evo, en L 2 600 mm x H 2 500 mm, composés portant un complexe double vitrages à base de verre Pilkington. Deux profilés spécifiques ont été ajoutés pour retrouver l’esthétique initiale : un meneau portant deux ergots extérieurs sur toute la hauteur du profilé, et une tubulure décalée à l’intérieur qui augmente la résistance mécanique. ©PP

Pascal Poggi pour Batimédia
©OlivierWogenscky

A l’étage intermédiaire, qui abritait les appartements du directeur, contient désormais des espaces communs et des logements pour couples et est le seul niveau vitré sur ses quatre façades, les menuiseries sont des coulissants à levage Wicslide 160 en L 3 900 mm x H 2 200 mm, des fenêtres oscillo-battantes Wicline 65 evo portant un vantail de 1800 mm de largeur et des portes Wicstyle 65, toutes montés sur une structure de mur rideau WITEC 50. ©OlivierWogenscky

©OlivierWogenscky

Tout cela a conduit à d’excellentes performances acoustiques. Lors des études préalables, le BE Gamba avait mesuré 72 dB(A), le matin à 10 heures à la pointe sud (côté périphérique) du niveau 7. Les concepteurs avaient exigé des isolements acoustiques de façade DnT,A,tr ≥ 44 dB pour le pignon sud côté périphérique, puis des isolements acoustiques passant de 41 dB à 36 dB selon les trames des façades, pour atteindre un minimum de 30 dB au pignon Nord, côté parc. Les menuiseries Wicona Wicline 65 evo offrent un isolement acoustique de 47 dB, vérifié par PV d’essai et des réduction de bruit Rw [dB(C ;Cr)] de 51 (-1 ;-4) à 50 (-2 ;-7).

En termes de performances thermiques, le bâtiment est conforme au Plan Climat Paris, soit une consommation ≤ 50 kWh/m².an. Il sera livré à temps pour accueillir des étudiants à la rentrée 2023.