Il existe une offre importante de solutions techniques, d’entreprises de conception et de mise en œuvre pour végétaliser les toitures, les murs des bâtiments. Mais faut-il aller jusqu’à la « forêt verticale » ? Une analyse globale en cycle de vie, menée par l’ingénieur suisse Julien Pathé, montre que ce serait franchement une erreur.
Sur un bâtiment, on peut végétaliser les toitures, les murs extérieurs, parfois les murs intérieurs. ©PP
La Ville de Paris a inscrit la végétalisation des bâtiments dans son PLU (Plan Local d’Urbanisme), propose une page web (https://www.paris.fr/pages/la-vegetalisation-du-bati-21439) pour guider les Maîtres d’Ouvrage qui souhaitent végétaliser un mur extérieur ou une toiture et à édité le « Guide des toitures végétalisées et cultivées – Toutes les étapes pour un projet de qualité, librement téléchargeable (https://cdn.paris.fr/paris/2022/09/07/8bdb613b3fc1e082b409a7a6fa0d28fb.pdf).
L’Adivet et BatiEtude ont produit un état du marché en 2021, librement consultable et téléchargeable (https://www.calameo.com/batimedia/read/00439860849d51e08c03c) qui décrit les acteurs français, les surfaces végétalisées en toitures et en façades, ainsi que les règles professionnelles à respecter.
On attribue de nombreux avantages à la végétalisation des bâtiments. La végétalisation des bâtiments apporte en effet un certain nombre de bénéfices, mais sans doute moins qu’on le proclame couramment. Elle améliorerait l’isolation thermique des parois végétalisées. En réalité, si le bâtiment est déjà correctement isolé – à un niveau RE2020 en construction neuve ou BBC en rénovation -, l’apport de la végétalisation en termes d’isolation thermique est très marginal. Si le bâtiment n’est pas isolé ou pas suffisamment, il vaut mieux commencer par ajouter de l’isolation thermique avant de végétaliser. ©PP
Il est parfaitement possible, pour des raisons avant tout esthétiques, de végétaliser des murs intérieurs. ©PP
La végétalisation des bâtiments favorise la gestion des eaux pluviales
On attribue à la végétalisation un rôle de filtre acoustique, mais une synthèse publiée par l’Ademe (https://librairie.ademe.fr/cadic/1173/amenager-avec-la-nature-en-ville-010658.pdf) explique que même avec des épaisseurs de végétation de 15 à 40 m, bien au-delà de ce que l’on peut installer en façade d’un bâtiment, « l’impact de la végétation, compris entre 1 et 5 dB(A), n’est pas perceptible et ne peut être comparé à celui procuré par l’installation d’écrans acoustiques (8 à 12 dB(A)) dans l’espace public. Par ailleurs, ces diminutions viennent compléter l’effet des fenêtres isolantes (30 à 35 dB(A)) dans les espaces privés ». La même synthèse souligne qu’une « toiture végétalisée n’apporte généralement pas de gain d’isolement acoustique supplémentaire à l’intérieur d’un bâtiment, surtout si la structure porteuse est en béton. Le principal effet isolant provient en effet de la structure du bâtiment. On ne peut donc pas compter sur la végétalisation d’une toiture pour améliorer l’isolation d’un bâtiment contre le bruit extérieur ».
L’Adivet – Association des Toitures & Façades végétales (https://www.adivet.net/fonctions-et-benefices-environnementaux) -, pour sa part, n’est pas du tout de l’avis de l’Ademe et estime au contraire qu‘une « toiture végétalisée permet de gagner 10 à 20 dB par rapport à une toiture classique, selon que le substrat est sec ou gorgé d’eau. Pour les façades végétalisées, l’absorption acoustique peut atteindre 14 dB et l’affaiblissement acoustique 61 dB ». ©PP
La végétalisation augmente la biodiversité urbaine, ce qui est indéniable. Cette toiture végétalisée sur le toit de l’Hôtel Okko de la Gare de l’Est, est devenue un square public : substrat de terre d’un bon mètre d’épaisseur pour soutenir le développement d’arbres. ©PP
La végétalisation des toitures contribue particulièrement à réguler l’écoulement des eaux pluviales. A cet égard, l’épaisseur et la nature du substrat du sol sont les facteurs les plus influents. Les toitures végétalisées, dans le meilleur des cas, peuvent réduire de 40 à 80% les volumes d’eau ruisselés sur l’année, toujours selon l’Ademe, et de 60 à 80% lors des pics de débit extrême, autrement dit durant un orage. Selon l’Adivet, en retenant une partie des eaux de pluie à la manière d’une éponge, les toitures végétalisées régulent les écoulements et limitent les risques d’inondation en évitant la saturation des réseaux. L’ampleur de l’effet retardateur de l’évacuation de l’eau, qui dépend des dimensions, de la composition et de la pente de la toiture végétalisée, peut atteindre 2/3 des effets d’un orage d’une durée d’une heure. ©PP
Il existe même des solutions techniques de végétalisation destinées à maximiser la rétention d’eau pluviale, comme Oasis Green et Oasis Biosolar, les toiture hydroactives de Le Prieuré, ou Sopranature de Soprema. ©PP/Le Prieuré
La végétalisation des bâtiments contre les îlots de chaleur urbaine
Un autre bénéfice clair de la végétalisation des bâtiments consiste en l’apport de fraîcheur en été autour du bâtiment végétalisé, avec un effet net sur le microclimat environnant. En effet, les végétaux absorbent l’eau par les racines et la rejettent par les feuilles, comme par transpiration. Par exemple, 1 m² de feuillage évapore plus de 0,5 litre d’eau par jour, tandis qu’un pied de tomate évacue 125 l d’eau en une saison. Le susbstrat nourricier des plantes perd également de l’eau par évaporation. Les spécialistes, comme le Laboratoire d’Etude des Phénomènes de Transfert Appliqués au Bâtiment de l’Université de La Rochelle ou l’Association régionale de Recherche et de Développement Horticole de Rochefort, additionnent évaporation et transpiration des plantes et parlent alors d’évapotranspiration (ETR). L’ETR absorbe de la chaleur en transformant l’eau liquide en vapeur, ce qui réduit la température alentour.
1 m² de gazon, par exemple, peut évacuer 5 litres d’eau par jour. Ce qui représente environ 300 kWh absorbés par m² et par jour. L’ETR, c’est-à-dire l’efficacité de la plante en termes de rafraîchissement local, dépend de multiples facteurs : le rayonnement de chaleur reçu, le flux de chaleur montant du sol, la température et l’humidité de l’air, la vitesse du vent et, naturellement, de l’espèce végétale et de son état.
Plus difficile à caractériser est l’effet apaisant et antistress attribué à la végétalisation des bâtiments. L’Adivet estime qu’avoir un accès à un espace végétalisé en toiture est favorable à la santé mentale. Autrement dit, on se porte mieux si l’on peut monter sur une terrasse végétalisée au-dessus de chez soi.
Les techniques de végétalisation
On rencontre cinq technologies principales de végétalisation des bâtiments, dont trois types de façades végétalisées :
-la façade recouverte de plantes grimpantes fixées directement sur le mur ou poussant sur un support (une treille par exemple) proche du mur. C’est une technique multi-millénaire.
– le brise-soleil végétalisé où le support de la plante est écarté de la paroi ou de la fenêtre,
– le mur végétal qui consiste à créer un sol artificiel vertical comportant un substrat humide pour la végétation, intégrant un arrosage et une distribution de nutriments automatiques.
Et deux sortes de toitures végétalisées :
– la toiture extensive est un tapis végétal avec substrat de 4 à 15 cm d’épaisseur, demandant peu d’entretien, avec lequel seules certaines plantes sont compatibles,
– la toiture intensive dispose d’un substrat de plus de 30 cm d’épaisseur, son fonctionnement est similaire à celui d’un jardin, elle nécessite de l’entretien, dont un arrosage.
Ces cinq techniques sont utilisées dans toutes les villes de France.©PP
Et la « forêt verticale » ?
Depuis plus de dix ans, l’architecte italien Stefano Boeri et son cabinet (https://www.stefanoboeriarchitetti.net/en/urban-forestry/ ) défendent l’idée des forêts urbaines verticales qu’ils ont notamment illustré avec la construction du Bosco Verticale, livré en 2014 et constitué de deux tours de logements à Milan, atteignant respectivement 76 et 110 m de hauteur.
Les façades de ces deux tours accueillent 711 arbres, 5 000 buissons et 15 000 plantes. La surface végétale des deux tours équivaut à deux hectares plantés et abrite 94 espèces végétales différentes. ©Stefano Boeri Architetti
Les revendications mise en avant sont puissantes : nettoyage de l’air, réduction du CO2, …
Le cabinet Stefano Boeri Architetti a répondu à un appel à projet de la commune de suisse de Chavannes-près-Renens pour l’aménagement du quartier des Cèdres. La proposition prévoit la construction d’une tour de 117 m de hauteur, baptisée Tour des Cèdres, avec installation d’arbres et de buissons sur des balcons de grande portée.
Cette tour des Cèdres, selon Stefano Boeri, rassemble tous les avantages environnementaux décrits dans le manifeste ci-dessus. ©Stefano Boeri Architetti
Du coup, Julien Pathé, ingénieur civil suisse, membre de la Société coopérative 2401 à Montreux, s’est intéressé au projet et a calculé son empreinte environnementale en menant un ACV sur 60 ans aussi complet que le lui permettaient les données disponibles.
Il a procédé en calculant l’empreinte environnementale du projet avec celle d’une tour simplifiée, sans végétalisation au bout des balcons. Il s’était dit en effet que « l’installation d’arbres dans des bacs de terre au bout de longs balcons représente une complexité pour la structure porteuse en béton de l’ouvrage et pour son enveloppe thermique » et devait inévitablement conduire à un renforcement de la structure du bâtiment. Il a donc en particulier évalué l’impact environnemental des moyens supplémentaires nécessaires pour l’installation d’arbres (béton, armature, isolation, fondations, etc.) sur les balcons du bâtiment. Puis l’a comparé à une variante sans arbres, mais avec de larges balcons. Il a aussi calculé le nombre d’arbres nécessaires pour compenser l’impact environnemental du bâtiment, afin de le comparer au nombre d’arbres qui seront implantés sur le bâtiment.
Il détaille sa démarche dans un rapport de 18 pages librement téléchargeable (https://kdrive.2401.ch/app/share/135999/a0f7c872-7c64-412b-a5db-32a74681e404/preview/pdf/1324510). Ses conclusions sont sans appel et largement en la défaveur de « cette architecture prétendument verte, mais réellement grise ».
En prenant en compte les éléments analysés de la structure porteuse, l’installation d’arbres sur les balcons représente une augmentation de 65.7 % de l’énergie grise et de 65.9 % l’émission de gaz à effet de serre, en comparaison d’une variante sans arbres.
« Ces chiffres, souligne-t-il, doivent être rapprochés des bénéfices attendus par le projet. En effet, les promoteurs du projet mettent en avant les vertus environnementales de l’installation de 80 arbres et 3 000 m2 d’arbustes sur le projet de la Tour des Cèdres. Toutefois, les émissions de CO2 nécessaires pour la végétalisation du bâtiment équivalent à l’absorption CO2 de 5 050 arbres pendant 60 ans ». La compensation des émissions de CO2 sur un horizon temporel de 60 ans nécessiterait de planter environ 20 000 arbres au moment de la construction.
« Les arguments avancés dans le manifeste « Urban Forestry » quant au « nettoyage de l’air » et à la « réduction drastique du CO2 » sont faux », conclut-il.
Bref, si la végétalisation des bâtiments apporte plusieurs bienfaits indéniables – plutôt d’ailleurs, en ce qui concerne l’environnement immédiat de ces bâtiments, la biodiversité et la régulation des eaux pluviales -, aller jusqu’à des forêts verticales conduit à des absurdités en raison de l’énergie grise dépensée pour réaliser des structures capables de résister aux contraintes que cela impose.