L’énorme influence des réglementations européennes sur les fluides frigorigènes

F-Gaz et REACH, deux règlements européens, vont conduire à une modification profonde des systèmes thermodynamiques – pompes à chaleur, groupes froids, etc. – et de leur installation.

Pascal Poggi

La révision des règlements F-Gaz et REACH va bouleverser le marché des réfrigérants en Europe, ainsi que la conception et l’installation des solutions thermodynamiques.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, voici quelques notions de base qui permettront de bien comprendre la suite de l’article. Une machine thermodynamique prend de la chaleur dans un milieu, l’amplifie et la rejette dans un autre milieu. Une pompe à chaleur air/eau, par exemple, prend la chaleur de l’air extérieur et la restitue dans l’eau d’un réseau de chauffage central. D’autre part, les termes qui décrivent les principaux composants d’une machine thermodynamique se réfèrent toujours au fluide frigorigène utilisé dans la machine : l’évaporateur est le dispositif où l’on évapore le réfrigérant, c’est-à-dire où on le réchauffe ; le condenseur refroidit le réfrigérant, c’est l’échangeur dans lequel le réfrigérant cède sa chaleur.

Deux autres composants sont importants et se réfèrent toujours au fluide : le compresseur est l’appareil dans lequel on comprime le réfrigérant. Le compresseur est un amplificateur de chaleur, car la compression d’un gaz produit de la chaleur. Le détendeur, le lieu ou l’on détend, c’est-à-dire où l’on baisse, la pression du réfrigérant sert à le refroidir : la détente d’un gaz cède de la chaleur.

Une machine thermodynamique produit toujours simultanément de la chaleur et du froid, ou plutôt elle déplace toujours la chaleur d’un point à un autre. Selon ce que l’on veut faire, on utilise l’un et on dissipe l’autre. Cependant, les machines thermodynamiques les plus efficaces du point de vue énergétique sont celles dont on utilise simultanément la chaleur et le froid. Par exemple, récupérer la chaleur extraite d’un local rafraîchi ou d’une armoire réfrigérée pour produire de l’eau chaude sanitaire.

La classification AHRAE des réfrigérants

Traditionnellement, chaque réfrigérant reçoit une désignation, attribuée et gérée par l’ASHRAE (American Society of Heating, Refrigerating and Air-conditioning Engineers https://www.ashrae.org/about#:~:text=using%20its%20full%20legal%20name,services%20will%20continue%20evolving%20globally). La norme ASHRAE 34 https://www.ashrae.org/file%20library/technical%20resources/refrigeration/factsheet_ashrae_english_20200424.pdf affecte les noms au réfrigérants, par exemple R410A ou R134a … Elle classe également les réfrigérants en fonction de leur dangerosité en se référant simultanément à leur toxicité et à leur inflammabilité : A pour faiblement toxique, B pour toxique ; 1, 2, 2L et 3 pour l’inflammabilité. Un réfrigérant classé A1, comme le R410A, est à la fois faiblement toxique et non-propagateur de flamme. Tandis qu’un réfrigérant B3 est à la fois toxique et franchement inflammable. Les niveaux d’inflammabilité 2 et 2L requièrent des précautions d’installations et, selon les types de locaux, des équipements de sécurité additionnels. Le niveau d’inflammabilité 3 est soumis à de sévères restrictions d’emploi dans la plupart des locaux.

Voilà, après ces remarques liminaires, nous sommes parés pour entrer dans le vif du sujet : les gaz réfrigérants, leurs évolutions et comment elles entraînent un profonde modification des machines thermodynamiques, notamment des pompes à chaleur.

Un siècle de recherche du réfrigérant idéal

Depuis le 17 juillet 1902, date à laquelle Willis Haviland Carrier eut l’idée de la climatisation moderne, les industriels n’ont cessé de rechercher le ou les réfrigérants les plus performants en fonction des usages qu’ils voulaient en faire : climatisation, chauffage, froid commercial, congélation à des températures négatives, séchage, etc.

La clim et le froid employaient initialement du CO2, désigné R744 par l’ASHRAE, et de l’ammoniac, désigné R717, efficaces du point de vue thermodynamique, mais toxique dans le cas de l’ammoniac et fonctionnant à des pressions élevées en ce qui concerne le CO2.
Dès la fin des années 1920, les chimistes ont développé les réfrigérants CFC ou ChloroFluoroCarbures, dont les excellentes propriétés thermodynamiques et le fait qu’ils sont ininflammables les rendaient particulièrement intéressants pour les industries du froid et de la climatisation. Mais les CFC ont été interdits par le Protocole de Montréal en 1985 lorsqu’on s’est aperçus qu’ils contribuaient à la destruction de la couche d’ozone. Ce pouvoir de destruction est caractérisé par l’ODP (Ozone Depletion Potential ou contribution à la destruction de la couche d’ozone). Certains excellents réfrigérants du point de vue thermodynamique, comme le R12 (ODP = 1), ont alors disparus parce que leur ODP n’est pas nul.

D’autres fluides, comme les HCFC (HydroFluoroCarbones) qui étaient déjà largement utilisés, mais dont l’ODP n’est pas nul, ont été condamnés également par le Protocole de Montréal. Le fameux Freon R22, un HCFC, était ainsi le fluide universel pour le froid et la climatisation pendant des dizaines d’années. Il ne peut plus être utilisé dans la plus grande partie du monde, sauf sous forme recyclée dans certains cas pour maintenir des équipements en fonctionnement.

L’amendement de Kigali

Qu’à cela ne tienne, se sont dit les chimistes, il reste les HFC (HydroFluoroCarbures). Leur ODP est nul et leurs caractéristiques thermodynamiques sont excellentes. Le R134a est ainsi devenu le fluide de référence dans les machines thermodynamiques utilisant des compresseurs à vis. Le R407C s’est installé dans les pompes à chaleur. Le R410A est devenu l’unique fluide dans les systèmes de climatisation à détente directe (monosplits, multisplits, DRV), tandis que le R404A devenait le standard en réfrigération commerciale, …

Mais voilà, les scientifiques savaient de longue date que les HFC contribuaient de manière importante au réchauffement de l’atmosphère. Du coup, le 15 octobre 2016 à Kigali, lors de la 28ème réunion des parties au Protocole de Montréal, l’amendement de Kigali modifie le Protocole de Montréal et organise l’abandon progressif de la fabrication et l’emploi des HFC. Fin 2022, 149 pays et l’Union Européenne ont ratifié l’amendement de Kigali, dont les Etats-Unis, la Chine et la Russie, mais aussi le Lichtenstein et le Saint-Siège.

La contribution d’un réfrigérant au réchauffement atmosphérique est donné par son GWP (Global Warming Power) ou son PRG (Pouvoir de Réchauffement Global) en français. Par exemple, le R134A affiche un GWP de 1300 calculé sur 100 ans, celui du R404A atteint 3900, 1526 pour le R407C et 1725 pour le R410A.

Le règlement F-Gaz en Europe

L’union Européenne avait anticipé l’accord de Kigali dans son règlement européen F-Gaz (Règlement Européen (UE) N°517/2014 F-Gaz https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32014R0517&from=EN) , entré en vigueur en janvier 2006. Ce règlement a déjà été révisé une fois en 2015. Une nouvelle révision est en cours en ce moment et devrait aboutir d’ici la fin de l’année. Le règlement F-Gaz organise une réduction progressive des quantités de réfrigérants HFC – le phase down, comme disent les professionnels de la chose – que l’on peut mettre sur le marché en Europe entre le 1er janvier 2015 et 2030, assortie d’interdictions de mise sur le marché des fluides dont le GWP est le plus élevé et par des restrictions d’utilisation de fluides à fort GWP dans certaines configurations. Ce règlement renforce aussi la lutte contre les fuites de fluide en favorisant le suivi de leur confinement dans les systèmes thermodynamiques installés, conforte le recyclage et le ré-emploi des réfrigérants et oblige les opérateurs – installateurs et acteurs de la maintenance, notamment – a détenir une qualification à la manipulation des fluides réfrigérants.

Le mécanisme du Règlement F-Gaz consiste à partir d’un quota – exprimé en tonnes de CO2 équivalent (tCO2eq) – et fixé initialement 182,5 millions de tCO2 au 1er janvier 2015. Ce quota englobe tous les HFC mis sur le marché en Europe : ceux qui sont fabriqués en Europe, comme ceux qui sont importés.

Ensuite, le Règlement F-Gaz prévoyait dans sa version initiale, une réduction des quantités mises sur le marché jusqu’à parvenir à une baisse de 79% en 2030. Le but initial était de parvenir à un GWP moyen des fluides du parc installé de 400 en 2030. En attendant, le quota alloué à chacun des 411 opérateurs retenus en 2015 sert à la fois à la maintenance des systèmes existants et à l’installations de nouvelles machines.

De plus, la Commission Européenne a été contrainte – sans augmenter le volume global – d’y faire entrer des usages dont elle n’avait pas tenu compte. Par exemple, en 2017, la Commission a admis le préchargé – les machines importées contenant déjà du fluide – dans le volume global. Ce qui a réduit le volume disponible de 11% pour les 411 acteurs.

Le Règlement F-Gaz de 2015 a poussé les constructeurs à concentrer leurs efforts sur le développement de systèmes fonctionnant avec des réfrigérants dont le GWP est inférieur à n150. Ce qui leur permettait, pensait-on, de passer tranquillement le phase down du Règlement F-Gaz.

Ils ont ainsi commencé à délaisser le R410A au profit du R32 (ODP = 0 et GWP = 675) et à remplacer peu à peu le R134a par de nouveaux fluides de la famille des HFO (HydroFluoroOléfines), dont l’ODP est nul et dont les GWP sont très faibles : 6 pour le HFO-1234ze, 4 pour le HFO-1234yf et 4,5 pour le HFO-1234zd. Les HFO ont de plus de bonnes performances thermodynamiques. Les HFO possèdent un avantage spécifique : leur température de condensation est très élevée, dépassant 100°C. Ce qui permet d’imaginer des pompes à chaleur utilisables pour produire de la vapeur en industrie ou pour alimenter en eau surchauffée des réseaux de chaleur urbains haute température.

On a aussi vu apparaître des mélanges proposés pour des usages spécifiques, comme le R454B, R455A ou le R513A, dont les GWP sont inférieurs à 150.

Depuis deux ans environ, aucun constructeur sérieux ne présente de nouvelle pompe à chaleur fonctionnant au R410A, ni de groupe froid utilisant le R134a.

La proposition de révision du règlement F-Gaz

Mais voilà, cette situation quasi-stable a été bouleversée le 5 avril 2022 par la Commission Européenne qui a proposé une révision du règlement F-gaz accélérant fortement la réduction des volumes de HFC que l’on peut mettre sur le marché en Europe.

La proposition de révision modifie le calendrier. Elle indique en effet que l’accélération de la mise sur le marché des HFC à partir de 2024 doit aboutir en 2050 à un quota égal à seulement 2,4% du volume autorisé en 2015.

Elle introduit de nouvelles restrictions, notamment : les équipements de climatisation et les pompes à chaleur mobiles fonctionnant avec des HFC dont le GWP ≥ 150 ne pourront plus être mis sur le marché à compter du 1er janvier 2025. Ce qui sonne la fin de la clim à roulette dans deux ans et demi.

Ensuite, les systèmes monosplit contenant moins de 3 kg de HFC avec un GWP ≥ 750 ne pourront plus être mis sur le marché à compter du 1er janvier 2025 et les systèmes split et multisplit d’une puissance inférieure ou égale à 12 kW, ne pourront plus être chargés avec un réfrigérant dont le GWP ≥ 150 à compter du 1er janvier 2027. Et voilà le R32 (GWP = 650) éliminé du marché de la climatisation domestique. Les systèmes split et multisplit d’une puissance supérieure à 12 kW, ne pourront plus faire appel à des réfrigérants dont le GWP ≥ 750 à compter du 1er janvier 2027. Le R410A est éliminé des systèmes DRV (Débit de Réfrigérant Variables), ces solutions de climatisation centralisées en tertiaire qui alimentent des dizaines d’unités intérieures.

Enfin, la Commission propose que les metteurs sur le marché achètent leur quota au prix de 3 €/tCO2eq. Pour l’instant, ces quotas sont alloués gratuitement.

Nous en sommes là, en ce qui concerne la révision du Règlement F-Gaz. Fin janvier, le Parlement Européen a répondu à la Commission par une contre-proposition moins sévère. Le Parlement maintient la restriction à un GWP ≤ 150 pour les splits et multisplits de moins de 12 kW, sauf s’il faut satisfaire à des exigences de sécurité. L’un des fluides susceptibles de remplacer le R32 dans ces systèmes est le R290, autrement dit le propane, avec un ODP nul et un GWP = 3, mais classé A3 : franchement inflammable. Le parlement européen entend ainsi permettre de continuer d’employer du R32 en splits et multsplits jusqu’en 2030 où les réfrigérants avec un GWP ≥ 750 (dont le R32) seraient interdits dans tous les splits, mono- comme multisplits.

La proposition de la Commission et la réponse du Parlement – nous attendons maintenant celle du Conseil Européen qui représente les Etats Membres – laissait la possibilité d’utiliser des HFO, dont le GWP est particulièrement faible et l’ODP nul. C’était compter sans la révision du Règlement REACH.

La proposition de révision du Règlement REACH condamne les HFO

Le Règlement Européen REACH https://echa.europa.eu/regulations/reach/legislation a été adopté en 2006 pour protéger la santé humaine et l’environnement des effets de composants chimiques toxiques. L’ECHA (European Chemical Agency) qui est chargée de préparer la révision de REACH a publié le 7 février 2023, la liste des substances contenant des PFAS ou susceptibles de se dégrader en PFAS. Les PFAS sont utilisés dans les textiles, dans les cosmétiques, dans l’ameublement, dans l’emballage alimentaire, etc. Ils ont été détectés dans le sang humain, dans l’air dans l’eau, dans la pluie, dans les sols et sédiments des lacs et rivières, … Il faut plusieurs dizaines de milliers d’années pour que les PFAS se dégradent dans l’environnement et disparaissent.

Les PFAS sont liés à au moins six maladies humaines : cholestérol élevé, rectocolite hémorragique, maladies de la Thyroïde, cancer des testicules, cancer des reins, et hypertension durant la grossesse. Ils sont également liés, dans des expérimentations sur des souris, à une réduction du poids à la naissance, à des défauts à la naissance, décès à la naissance et développement ralenti. Bref, alors qu’ils sont ultra-présents dans l’environnement, les PFAS sont particulièrement dangereux.

Sur la liste des substances https://echa.europa.eu/documents/10162/31ad90e1-b035-c36b-1f01-bfd8dc6e2b0a dont l’ECHA propose le bannissement au titre de la lutte contre les PFAS, les gaz fluorés – autrement dit largement les réfrigérants – figurent page 60 du sommaire, page 65 du document. La liste précise des substances concernées se trouve dans le Tableau A.95 https://echa.europa.eu/documents/10162/31ad90e1-b035-c36b-1f01-bfd8dc6e2b0a.

Tous les HFO figurent dans la liste : le HFO-12334ze page 250, avec le HFO-1336mzz(E), le HCFO-1224yd, le HFO-1233zd (E), plus un grand nombre de mélanges contenant des HFO, comme le R-444B, … le R-449A, le R-513A, etc. D’autres HFO se trouvent page 259 : HFO-1234yf, HFO-1234zd(E), HFO-1234ze(E), Le tableau A.98 montre que l’emploi des HFO croît régulièrement.

La révision du Règlement REACH devrait aboutir en 2025. Mais si les Règlements F-gaz et REACH sont révisés et s’appliquent conformément aux propositions de la Commission, les HFC sont écartés du marché européen par le règlement F-Gaz et les HFO par la révision de REACH.

Les seuls fluides susceptibles de passer à travers F-Gaz et REACH seraient donc les fluides naturels : le propane R290, l’ammoniac R717 mais pas dans les bâtiments, le CO2 R744, l’eau R718 ou l’air R729, plus l’isobutane R600a. C’est à peu près tout pour l’instant. De nombreux constructeurs utilisent déjà le R290 dans des pompes à chaleur air/eau monobloc extérieures et dans des groupes froids jusqu’à des puissances de plusieurs MW, le CO2 dans des pompes à chaleur consacrées à la production d’eau chaude sanitaire. Un constructeur développe l’emploi de l’eau comme fluide, un autre celle de l’air.

Si les deux règlements européens sont révisés selon les propositions soumises par la Commission, les splits, multisplits et DRV disparaîtront probablement du marché européen. Ce sera le grand retour de l’eau glacée : un groupe monobloc à l’extérieur, chargé en R290, par exemple, distribuant de l’eau chaude pour le chauffage et de l’eau glacée pour le rafraîchissement.

Légendes des photos

Pascal Poggi

Poussé par la révision du règlement F-Gaz en 2015, le R32 était en train de remplacer le R4104 dans tous les systèmes thermodynamiques domestiques : pompes à chaleur, mono- et multisplits.

Pascal Poggi

Tous les industriels spécialistes des solutions à détente directe ont entrepris de basculer leurs gammes vers le R32. 

Pascal Poggi

Sentant le vent tourner, certains fabricants japonais, comme Panasonic, proposent tout de même des pompes à chaleur utilisant le R290. 

Pascal Poggi

En ce qui concerne les DRV, la réponse sera plutôt du R32. Il n’est pas vraiment concevable, à coût maîtriser, de transporter du R290 dans tous les locaux d’un bâtiment tertiaire.

Pascal Poggi

Les HFO possèdent d’excellentes propriétés thermodynamiques, notamment associés à des compresseurs à vis. La révision du Règlement REACH peut interrompre leur développement.

Pascal Poggi

Grâce à leur température de condensation élevée, les HFO permettent de concevoir des pompes à chaleur capables de produire de l’eau surchauffée ou même de la vapeur.

Pascal Poggi

Le R744, le CO2, impose des pressions de fonctionnement élevées. Il faut des installateurs et des opérateurs des maintenance formés à ce fonctionnement particulier pour intervenir en toute sécurité sur des installations au C02.

Pascal Poggi

Des industriels, comme Haier, par exemple, introduisent en Europe des solutions multisplit en détente directe fonctionnant au R290. Les conditions d’installation varient d’un pays à l’autre.

Pascal Poggi

L’allemand Efficient Energy a conçu, fabrique et commercialise une gamme de groupes d’eau glacée utilisant l’eau, R718, comme réfrigérant. Leur site possède même une page https://www.echiller.fr/contact/  en Français.